Du verre, des anges… et un microscope

Interview de Flavie Serrière Vincent Petit – Novembre 2023

Copyright – Pascal STRITT

En 2022, la Fondation Clément Fayat a choisi de s’investir dans la restauration de verrières exceptionnelles, aux côtés de la Fondation du Patrimoine. Réalisées par René-Jules Lalique au début du XIXe siècle, ces 30 baies représentent des anges, qui reprennent leur éclat sous les doigts de Flavie Serrière Vincent-Petit.

L’ange disparu…

L’église Saint-Nicaisede Reimsva retrouver peu à peu sa luminosité dorée. Les 11 baies du côté sud de l’édifice sont en cours de restauration à la Manufacture Vincent-Petit située à Troyes. Ce projet est porté par l’Association des Amis de Saint-Nicaise du Chemin-Vert. « Ces verrières sont très particulières, explique Flavie Serrière Vincent-Petit, conservateur-restaurateur de vitraux patrimoniaux. C’était un chantier expérimental pour René Lalique, en raison de leur hauteur et de leur épaisseur qui atteint par endroit plus de 4 cm. Lalique n’en fera plus jamais d’aussi grandes. »

Dans cette pâte de verre teintée en jaune, l’artiste a dessiné des anges tantôt agenouillés, tantôt en pied. Leur restauration est un défi technique pour les équipes de la manufacture : « Afin de maintenir les œuvres sur leur lieu d’origine, nous fabriquons une double verrière transparente avec des serrureries et des reprises de charge spécifiques. Posée à l’extérieur, elle protégera les baies Lalique des intempéries. Nous devons également recréer entièrement un vitrail car parmi les 30 baies, il en manque une. Heureusement nous avons exactement quel dessin réaliser puisque les anges sont disposés en symétrie dans l’église. »

Le projet social de la cité-jardin

À la question de savoir pourquoi la Fondation Clément Fayat est mécène de ce projet, Laurent Fayat, Directeur général du Groupe Fayat, répondait lors de la signature de la convention le 20 octobre 2022 : « Tout nous a plu, que ce soient les verrières Lalique, qui sont de pures œuvres d’art, mais aussi le côté social de la cité. »

En effet, l’église Saint-Nicaise fait partie d’une réalisation novatrice d’après-guerre, la cité-jardin de Reims, créée par Georges Charbonneaux. Inspirée de la tradition du catholicisme social, la cité du Chemin-Vert a été conçue pour accueillir des familles nombreuses d’employés rémois en habitat individuel. Cet ensemble à vocation sociale incluait notamment une maison de l’enfance, une école ménagère pour les mères de famille, une maison commune avec bains-douches et bibliothèque, une salle des fêtes, un jardin potager, un poulailler… et une église, pour laquelle Georges Charbonneaux fait appel à son ami René-Jules Lalique.

Au chevet de Notre-Dame

Retour à Troyes, où Flavie et ses équipes s’affairent autour des verrières Lalique, mais pas que. Avec 26 collaborateurs, la manufacture Vincent-Petit regroupe plusieurs métiers liés au vitrail : conservation-restauration, miroiterie, serrurerie, découpe numérique. « Lorsque nous avons créé la manufacture en 2012 avec mon mari, nous avons tout de suite décroché un gros marché pour les vitraux de la cathédrale de Châlon », se souvient Flavie. Titulaire d’un premier master conservation-restauration verre et vitrail, cette passionnée d’histoire médiévale a choisi de suivre ensuite un autre master à l’École d’architecture de Nancy « verre, design et architecture », pour « élargir ma vision sur l’ensemble d’un édifice ». Toujours en recherche de savoir, Flavie prépare actuellement une thèse sur les lacunes en vitrail et les croisements possibles entre patrimoine et création contemporaine.

Les ateliers de cette importance se comptent sur les doigts d’une main en France. Reconnue nationalement pour son expertise, la manufacture Vincent-Petit a fait partie des professionnels réquisitionnés d’urgence une semaine après l’incendie de Notre-Dame en avril 2019, pour déposer les vitraux menacés. Ses équipes ont ensuite remporté un appel d’offres pour restaurer 24 vitraux provenant du chœur, du transept et de la sacristie, construisant pour cela des tables lumineuses spéciales, de 7 m de long ! « C’est bien sûr une grande fierté pour nous de participer à cette mobilisation sans précédent autour de Notre-Dame. »

Le vitrail au microscope

Afin d’ausculter en détail les œuvres qui lui sont confiées, la manufacture est équipée de microscopes électroniques, qui permettent de mieux comprendre les altérations, mais aussi la technique de fabrication. Une aide technologique indispensable pour Flavie et ses équipes : « En restauration, on ne refait pas à l’identique, nous trouvons d’autres méthodes pour conserver l’objet tout en gardant des traces de son passé. Avant, lorsqu’un vitrail était abîmé, on réalisait une copie des pièces brisées. Maintenant, on colle les morceaux cassés, on comble avec de la résine, on réintègre. » Pour mieux éclairer ses décisions, la manufacture favorise les approches interdisciplinaires et travaille en collaboration avec des experts en objets d’art, des céramistes, des spécialistes en nanotechnologies ou encore le laboratoire de recherche des monuments historiques. Chaque geste est murement réfléchi : « La restauration, c’est toujours un choix avec la prise en compte de la valeur de l’œuvre, que ce soit au niveau esthétique, historique, de son usage… »

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